Femmes et hommes devant les étapes de la carrière d’enseignant-chercheur : deux corps, deux sexes ?

Olivier Martin, olivier.martin@parisdescartes.fr

CERLIS (CNRS, Universités Paris Descartes et Sorbonne Nouvelle, Sorbonne Paris Cité)

Ancien président du CNU19 (mandat 2012-2015)

Les docteures ont-elles des chances équivalentes à leurs homologues masculins d’être qualifiées aux fonctions de maître.sse de conférences des universités ? Les maitresses de conférences ont-elles des chances vraiment comparables à celles des maîtres de conférences d’obtenir une qualification aux fonctions de professeur.e.s ? Et, une fois entrés dans l’un ou l’autre de ces deux corps, les hommes et les femmes ont-ils des chances identiques d’être promus dans les diverses classes existant au sein de chacun de ces corps ?

Pour tenter de répondre à ces questions, en tout cas apporter quelques éclairages statistiques, ce texte s’appuie sur des analyses anonymes des dossiers analysés annuellement par le CNU19 (notamment durant mon mandat 2011-2015), complétées par des données issues des rapports statistiques du ministère, du Journal Officiel ainsi que de résultats établis dans un autre cadre (Chenu, Martin, 2016). Mon propos est essentiellement focalisé sur les étapes dont le CNU a la charge : les étapes de qualification aux fonctions de maître.sse de conférences ou de professeur ainsi que les étapes de promotion (avancement dans les corps des MCF et des PR). Nous présentons également quelques résultats concernant les nominations. L’étude des trajectoires différenciées des femmes et des hommes dans les carrières de sociologue et démographe des universités françaises fait l’objet d’un autre article à paraître très prochainement (Chenu, Martin, 2016) et seuls quelques résultats généraux issus de cet article seront ici remis en perspective.

Nous saisissons également le cadre de ce texte, essentiellement centré sur les différences de sexe à plusieurs moments de la carrière, pour publier quelques données générales sur les corps des enseignants-chercheurs permanents (professeur.e.s et maître.sse.s de conférences) : les effectifs de ces deux corps ; leur démographie ; l’évolution de leur composition. C’est par cette description démographique générale que nous débutons notre article, avant d’examiner de manière successive les différentes étapes de la carrière d’un enseignant-chercheur : la qualification aux fonctions de maître.sse. de conférences, la nomination à ces fonctions, la qualification aux fonctions de professeur.e, la nomination sur un poste professoral, la promotion au sein de chacun des corps.

 

 

Un peu de démographie générale de la section 19 de « sociologie, démographie »

Commençons par rappeler quelques faits essentiels.

Aujourd’hui, il y a environ 900 enseignants-chercheurs permanents en sociologie-démographie, dont plus de 7 sur 10 sont des maître.sse.s de conférences et donc un peu moins de 3 sur 10 des professeur.e.s des Universités. Il y a plus de deux fois plus de « rangs B » que de « rangs A » dans nos établissements universitaires.

Nous avons pu reconstituer l’évolution des effectifs de la section 19 au cours des 30 dernières années. La période 1984-2014 est marquée par une très forte croissance des effectifs dans chacun des corps : la croissante est réelle, et est particulièrement rapide jusqu’au début des années 2000. Le nombre de MCF en « sociologie-démographie » a été multiplié par 3,1 au cours de ces trente années ; et le corps des PR par un facteur encore supérieur (3,4). Alors qu’il y avait 206 MCF et 74 PR en 1984, ils sont aujourd’hui respectivement au nombre de 643 et 252 (cf. Graphique 1).

 

 

Sources : Données du MENESR, Compilations personnelles de rapports et tables statistiques.

 

Nous ne disposons pas des données permettant de comparer l’évolution des effectifs relevant de la section 19 du CNU avec l’ensemble des autres sections sur la même période. Nous pouvons toutefois le faire pour la période 1994-2014. Et cette analyse permet de souligner que, si la croissance des effectifs des enseignants-chercheurs est une tendance générale, cette croissance est bien plus forte pour le CNU19 que pour beaucoup d’autres sections des CNU.

Comparons l’évolution de la section 19 à trois groupes plus vastes1 : au groupe dit des « Sciences Humaines » (qui rassemble les sections CNU 16 à 24 : Psychologie, Philosophie, Sociologie, Démographie, Ethnologie, Préhistoire, Histoire, Géographie, Urbanisme) ; à la grande discipline « Lettres » (qui s’oppose aux autres grandes disciplines « Sciences », « Droit » et « Pharmacie ») ; et enfin à l’ensemble des sections des CNU (toutes sections et disciplines confondues). Cette comparaison permet de constater qu’au cours des vingt années séparant 1994 et 2014, les effectifs du CNU19 ont cru de 78 %, contre seulement 36 % environ pour l’ensemble des sections des CNU et de 59 % pour le groupe « Sciences Humaines » (cf. Tableau 1).

 

Tableau 1 : Les effectifs et leur évolution pour la section 19, le groupe IV, le secteur « Lettres » et l’ensemble des CNU, entre 1994 et 2014

 

Ensemble

 

 

 

Secteur

« Lettres et SH »

Groupe « SH »

CNU 19

Effectifs en 1994

36454

10408

4103

502

Effectifs en 2014

49537

15088

6522

895

Evolution 2014/1994

35,9 %

45 %

59 %

78,3 %

Source : MENESR, DGRH, Fiches démographiques des sections, 2013, 2014.

 

Cette hausse des effectifs concerne à la fois les maître.sse.s de conférences et les professeur.e.s, même si la croissance est relativement plus faible pour ces derniers, au sein du CNU19 comme dans l’ensemble des trois catégories plus larges.

 

Comparons le CNU19 avec des sections « voisines », par exemple celles des doctorants se présentant assez fréquemment à la qualification par le CNU19 (cf. Tableau 2). Il s’avère que le CNU19 n’est pas la seule section du vaste environnement des disciplines « voisines » à avoir connu une hausse de ces effectifs : toutes les disciplines listées ont connu une hausse, parfois relativement faible (philosophie ou sciences économiques), souvent proche de celle de la sociologie-démographie, et parfois spectaculaire (Info-Com, et surtout STAPS, dont les effectifs ont été multipliés par presque 5 en 20 ans).

 

Tableau 2 : Evolution des effectifs pour quelques sections voisines de la section 19

entre 1994 et 2014

Sections du CNU

Effectifs en 2014

Variation des effectifs 2014/1994

17 - Philosophie

392

+17,7 %

05 – Sciences économiques

1806

+ 26,4 %

22 - Histoire et civilisations : histoire des mondes modernes, histoire du monde contemporain ; de l'art ; de la musique

1089

+37 %

04 – Sciences politiques

363

+47,6 %

20 - Ethnologie, préhistoire, anthropologie biologique

200

+ 69,7 %

70 – Sciences de l’éducation

661

+ 69,1 %

24 - Aménagement de l'espace, urbanisme

260

+ 69,9 %

19 – Sociologie, démographie

895

+ 78,3 %

71 – Sciences de l’information et de la communication

803

+ 115,3 %

74 - Sciences et techniques des activités physiques et sportives

803

+ 369,6 %

Sources : MENESR, DGRH, Fiches démographiques des sections, 2013, 2014.

 

Chacun peut se satisfaire de cette forte augmentation des effectifs des enseignants des universités. Mais, d’une part, elle doit par ailleurs être ramenée à la croissance des effectifs étudiants depuis les années 1980 (Chenu, 2002). Et, d’autre part, ce serait trop vite oublier que sur la même période, le nombre d’enseignants non-permanents a cru encore plus vite2. Les non-permanents (contrats doctoraux avec mission d’enseignement, ATER, maître.sse.s de langue, enseignants associés) représentent actuellement environ un quart des effectifs en activité dans les universités : leur nombre a été multiplié par plus de deux entre 1992 et 2010 (hausse d’environ 130 %), avant de stagner puis de baisser légèrement, tandis que sur la même période les effectifs des permanents n’ont augmenté que de 50-60 % environ. Ce n’est pas, ici, le lieu d’approfondir la question de la place des non-permanents, de leur rôle réel (en tenant compte des équivalents ETP car beaucoup de non-permanents sont à temps partiel) et de leurs caractéristiques. Nous appelons toutefois de nos vœux une telle étude : le MENESR publie beaucoup de données qui mériteraient d’être analysées minutieusement. Au delà d’une meilleure connaissance de la place des enseignants vacataires dans l’enseignement supérieur, il faudra également s’interroger sur le destin de ces collègues temporaires.

 

Avant de nous intéresser à la présence différenciée des femmes et des hommes, terminons ce préambule en jetant un regard à la pyramide des âges (en 2014) de la section 19, en la comparant à pyramide de l’ensemble des sections (cf. Graphique 2). Sans surprise, la population des professeur.e.s est globalement plus âgée que celle des maître.sse.s de conférences : l’âge moyen des professeur.e.s est de 56 ans alors que celui des maître.sse.s de conférences s’élève à 47 ans. Soulignons également que la structure en âge de la section 19 est plus âgée que la structure d’âge générale : comme beaucoup d’autres sections du secteur « Lettres et Sciences humaines », l’accès au corps des maître.sse.s de conférences comme à celui des professeur.e.s est plus tardif que dans les « Sciences ».

 

Graphique 2 : Pyramide des âges en 2014 de la section 19 (en bleu)

et de l’ensemble des sections (en rouge)

 

Source : MENESR, DGRH, Fiche démographique de la section 19, 2013/2014.

 

 

 

Les femmes et les hommes au sein du CNU19

 

Aujourd’hui (2014), le corps des maître.sse.s de conférences en sociologie-démographie est composé, à parts comparables, de femmes (53 %) et d’hommes (47 %). En revanche, ce n’est pas le cas du corps des professeur.e.s : celui-ci est composé, aux deux tiers, d’hommes (68 % d’hommes pour 32 % de femmes).

Dans chacun de ces deux corps, la féminisation est progressive, lente, mais réelle : dans le corps des MCF, la part des femmes est passée de 28 % en 1984 à 53 % en 2014 ; et de 12 % à 32 % dans le corps des PR au cours de la même période (cf. Graphique 3).

 

 

 

Sources : Données du MENESR, Compilations personnelles de rapports et tables statistiques.

 

Les âges moyens des femmes et des hommes sont proches, même si les femmes sont légèrement plus jeunes que les hommes au sein de chacun des deux corps (tableau 3). Trois mécanismes sont potentiellement à l’œuvre pour expliquer cette inégalité :

a) des différences dans les conditions d’accès : l’accès à chacun des deux corps peut se faire à des âges différents (par exemple les femmes accéderaient plus tôt au statut de maître.sse de conférences comme à celui des professeur.e.s) ;

b) des différences dans l’histoire de la constitution des corps : la présence d’hommes est plus ancienne dans chacun des deux corps et ils y ont « vieilli » (leur âge moyen est donc plus élevé que l’âge moyen des femmes, dont la présence significative dans les deux corps est plus récente) ;

c) des différences dans les conditions de sortie du corps : l’âge à la sortie du corps, soit par passage au corps des professeur.e.s, soit par départ à la retraite, est plus faible pour les femmes (il existe d’autres motifs de départ, mais ils sont probablement rares).

 

Tableau 3 : Âges moyens et médians des femmes et des hommes dans les deux corps d’enseignant-chercheur, en 2014

 

Maître.sse.s de conférences

Professeur.e.s des Universités

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

Effectif

342

301

80

172

Âge moyen

45 ans

48 ans

55 ans

56 ans

Âge Médian

44 ans

47 ans

56 ans

58 ans

Source : MENESR, DGRH, Fiche démographique de la section 19, 2013/2014.

 

 

Ces trois facteurs interviennent, à des degrés divers, sans qu’il soit a priori aisé de démêler le rôle de chacun d’eux. Notre article (Chenu, Martin, 2016) permet néanmoins d’apporter des éclairages substantiels sur le rôle relatif de chacun de ces facteurs :

1°) Nous montrons dans ce texte que les femmes accèdent un peu plus tôt que les hommes au corps des maître.sse.s de conférences mais pas au corps des professeur.e.s (plus d’un an d’écart en moyenne, sur la période 2002-2012). Et, dans la mesure où leur présence dans ce corps est ancienne et relativement équilibrée, la différence d’âge moyen/médian s’explique probablement, en partie au moins, par cet accès relativement précoce au corps des maître.sse.s de conférences.

2°) L’accès plus tardif des femmes au corps des professeur.e.s est en apparente contradiction avec leur âge moyen plus faible dans ce corps. C’est probablement le résultat de leur relative faible présence dans ce corps et de leur accès globalement plus récent à ce même corps : peu représentée dans ce corps dans le passé, leur intégration progressive et assez récente fait du groupe des femmes dans le corps des professeur un groupe un peu moins âgé que le groupe de leurs homologues masculins (55 % des femmes professeur.e.s ont plus de 55 ans alors que c’est le cas de 60 % des hommes professeurs : cf. Graphique 5). Par ailleurs, tou.te.s les maître.sse.s de conférences n’accèdent pas au corps professoral : les sorties de ce corps se font majoritairement en raison d’un départ à la retraite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Femmes et hommes devant l’étape de qualification aux fonctions de maître.sse de conférences

 

A l’étape de qualification aux fonctions de maître.sse de conférences en sociologie-démographie, les chances des candidates sont non seulement comparables mais probablement légèrement supérieures à celles des hommes : 59 % des docteures contre 52 % des docteurs s’étant présentés à la qualification entre 2009 et 2015 ont obtenu cette qualification par le CNU19 (cf. Tableau 4). Sur l’ensemble de la période, un test de signification statistique3 permet de penser que cet « avantage » des femmes est significatif. Soulignons que cette tendance, qu’on peut établir pour des périodes plus anciennes, semble s’être estompée au cours des années 2014 et 2015 – il serait toutefois hâtif de conclure à un changement réel, tant les fluctuations annuelles sont délicates à interpréter.

 

Tableau 4 : Nombre de candidat.e.s, de qualifiés et taux de qualification MCF,

selon le sexe et l’année de candidature (CNU19, 2009-2015)

 

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

TOTAL

Candidates F

222

177

210

209

223

221

227

1489

Candidats H

232

178

220

194

216

193

194

1427

Qualifiées F

134

125

123

120

126

119

127

874

Qualifiés H

130

95

114

95

94

102

107

737

Taux de qualification des femmes

60%

71%

59%

57%

57%

54%

56%

59%

Taux de qualification des hommes

56%

53%

52%

49%

44%

53%

55%

52%

Chances relatives

1,08

1,32

1,13

1, 17

1,30

1,02

1,01

1,14

Sources : Rapports des CNU19 (2009-2015).

 

 

Ce résultat, établi en tenant compte de l’ensemble des candidat.e.s, peut être affiné en examinant seulement les candidat.e.s titulaire d’une thèse en sociologie ou démographie (pour la période 2012-2015 seulement car nous ne disposons pas des informations avant 2012). Environ la moitié des candidat.e.s à une qualification par le CNU19 sont titulaires d’une thèse dans une autre discipline (notamment : sciences politique, ethnologie, histoire, sciences de l’éducation, STAPS, économie…). Si nous écartons ces situations pour nous concentrer sur les seuls titulaires d’un doctorat en sociologie ou démographie, le constat est identique, voire plus prononcé (cf. Tableau 5) :

 

Tableau 5 : Nombre de candidat.e.s, de qualifiés et taux de qualification MCF,

selon le sexe et l’année de candidature pour les titulaires

d’un doctorat en sociologie ou démographie (CNU19, 2012-2015)

 

2012

2013

2014

2015

TOTAL

Candidates F

98

118

110

105

431

Candidats H

85

102

111

119

417

Qualifiées F

73

86

84

79

322

Qualifiés H

57

58

71

79

265

Taux de qualification des femmes

74%

73%

76%

75%

75%

Taux de qualification des hommes

67%

57%

64%

66%

64%

Chances relatives F/H

1,11

1,28

1,19

1,13

1,18

Sources : Rapports des CNU19 (2012-2015)

 

Cette différence résiste-t-elle en tenant compte de l’âge des candidat.e.s ? Soulignons que l’âge moyen à la candidature est plus faible chez les femmes que chez les hommes (et l’écart est statistiquement très significatif) : l’âge moyen des femmes est de 35,9 ans tandis que celui des hommes est de 36,9 ans.

L’examen croisé des taux de qualification selon l’âge et le sexe permet de montrer un point intéressant : les hommes et les femmes ont des taux de qualification comparables (pour ne pas dire statistiquement équivalents) dans les tranches d’âge les plus basses (moins de 35 ans), tandis que l’écart se creuse, en faveur des femmes, pour les tranches d’âge les plus élevées (plus de 35 ans). Ainsi, les candidatures féminines et masculines les plus « jeunes » ont des chances comparables, tandis que les femmes s’en sortent beaucoup mieux dans les tranches d’âges plus « avancées » (cf. Tableau 6).

 

Tableau 6 : Taux de qualification aux fonctions de MCF selon l’âge et le sexe

(CNU19, 2012-2015)

Classe d’âge

Sexe

Taux de qualification

Effectif

30 ans et moins

Femmes

58 %

170

Hommes

61 %

131

31-32 ans

Femmes

62 %

158

Hommes

59 %

121

33-34 ans

Femmes

54 %

146

Hommes

56 %

126

35-37 ans

Femmes

62 %

149

Hommes

45 %

146

38-42 ans

Femmes

55 %

130

Hommes

46 %

131

43 ans et plus

Femmes

41 %

128

Hommes

36 %

141

Sources : Rapports des CNU19 (2012-2015) ; compilations et analyses personnelles à partir des fichiers anonymes des candidatures

 

Une régression logistique permettant de tenir compte des effets simultanés de l’âge et du sexe montre que, globalement, les hommes ont des chances relatives (odds-ratio) légèrement plus faibles que les femmes d’être qualifiés, mais que l’effet le plus significatif est l’effet âge : à sexe identique, les chances relatives de qualification diminuent de manière significative au fur et à mesure que l’âge avance.

 

Cet avantage (faible mais significatif) des candidates sur les candidats ne doit pas être immédiatement interprété comme le signe d’une discrimination des hommes, ou comme le fruit d’une politique de discrimination positive à l’égard des femmes. Il est difficile de saisir son origine : les dossiers des candidates sont-ils meilleurs ou plus équilibrés (sur les trois registres évalués par le CNU : recherches, enseignements, engagements collectifs) ? Les spécialités et domaines de recherches des femmes sont-ils plus consensuels que ceux des hommes ? Les docteures s’auto-éliminent-elles si elles estiment leurs chances trop faibles ? Une analyse fine des mécanismes à l’œuvre, tout au long du processus qui conduit à la thèse, à l’accumulation des expériences (dans les trois registres évoqués), à la candidature, puis à la (non)qualification reste à faire. Il est certain que le « genre est à l’œuvre », mais son rôle exact, les voies de son influence, sont encore à découvrir de manière précise.

 

 

L’accès différencié des femmes et hommes aux corps des maître.sse.s de conférences

 

Qu’advient-il à ces docteurs qualifiés aux fonctions de maître.sse.s de conférence ?

Nous savons que le nombre de recrutés est faible, voire très faible par rapport au nombre de qualifiés. En oubliant (pour simplifier) qu’une qualification permet de candidater pendant au moins 4 ans sur les postes ouverts au concours et que des candida.e.s qualifié.e.s dans d’autres sections (par exemple les sections de sciences politiques, d’ethnologie, de sciences de l’éducation, de sciences de l’info-com, etc.) peuvent candidater sur les postes de la 19e section, il y a eu 2495 qualifiés pour 227 postes (entre 2009 et 2014) soit moins d’un poste pour 10 qualifiés de l’année. Et si on rapporte ce nombre de postes aux nombres de candidat.e.s ayant effectivement déposé un dossier sur cette même période, il y a eu 3745 candidat.e.s pour 227 postes ; soit un peu moins d’un poste pour 17 candidat.e.s (cf. Tableau 7).

 

Tableau 7 : Part des femmes dans le recrutement des maître.sse.s de conférence (2009-2014)

 

Postes publiés et candidatures

Postes pourvus et nominations

 

Nombre de postes publiés

Nombre de candidat.e.s

Part des femmes

Nombre de Femmes

Nombre de postes pourvus

Part des femmes

Nombre de Femmes

2009

42

564

49,6

280

40

50

20

2010

48

770

50,3

387

48

50

24

2011

31

522

55,9

293

31

58,1

18

2012

46

687

52,5

360

43

60,5

26

2013

28

587

55,9

328

27

81,5

22

2014

32

615

53,8

330

32

53,1

17

Total

227

3745

52,8%

1978

221

57,5%

127

Source : MENESR, DGRH, Fiches démographiques de la section 19.

 

Il y a, proportionnellement, davantage de femmes nommées sur les postes de MCF qu’il n’y a de candidates : un peu moins de 53 % des candidat.e.s sont des femmes alors que plus de 57 % des nommés sont des femmes. Le rapport de chance en faveur des femmes s’élève donc à 1,2.

Et si nous considérons l’ensemble du processus qui conduit de la qualification à la nomination comme maître.sse.s de conférences, ce rapport de chance s’élève à 1,40 (cf. Tableau 8) : les femmes titulaires d’un doctorat ont 1,4 fois plus de chance d’être élues sur un poste de MCF qu’un homme lui-même docteur. Ce constat statistique peu contestable ne doit pas nous faire oublier que les chemins qui conduisent, ou pas, à la candidature à une qualification puis à la candidature à un poste sont complexes et comprennent des mécanismes d’auto-élimination, de découragement, d’intériorisation de l’échec ou, au contraire, d’intériorisation des atouts objectivement accumulés par les candidat.e.s. L’analyse statistique des étapes de qualification et de nomination ne donne qu’un aperçu des processus de sélection, et notamment de sélection différenciée des individus selon leur sexe.

 

Tableau 8 : Taux de qualification des femmes et des hommes, rapport de chance et part des femmes lors des diverses étapes d’accès un poste de maître.sse de conférences sur l’ensemble de la période 2009-2014

 

Femmes

Hommes

Rapport de chance F/H

Part des femmes à chaque étape

Candidat.e.s à la qualification

1262

1233

 

54,6 %

Qualifié.e.s

747

630

 

54,2 %

Taux de qualification

59,2 %

51,1 %

1,16

 

Candidat.e.s à un poste

1978

1767

 

52,8 %

Nommé.e.s

127

94

 

57,5 %

Taux de nomination par rapport aux candidatures

6,4 %

5,3 %

1,21

 

Effets cumulés *

 

 

1,40*

 

Source : MENESR, DGRH, Fiches démographiques de la section 19 ; Rapports de la section 19 du CNU

* Il s’agit de la combinaison arithmétique des deux rapports de chance (celui sur l’étape de qualification et celui sur l’étape de nomination sur un poste de MCF). Cette combinaison n’est pas strictement rigoureuse puisqu’il n’y a pas de correspondance parfaite entre les qualifiés et les candidat.e.s à un poste (la qualification dure 4 ans ; on peut être qualifié et ne pas candidater à un poste ; on peut être qualifié par une autre section ; on peut candidater à une autre section en étant qualifié par le CNU19).

Lecture : il y a eu 1262 candidatures de femmes à la qualification aux fonctions de maître.sse de conférences ; ces candidatures féminines représentent 54,6 % des l’ensemble des candidatures ; parmi ces 1262 femmes, 747 ont été qualifiées (soit 59,2 %) ; tandis que seuls 51,1 % des hommes candidats ont té qualifiés ; le rapport de chance relatif des femmes par aux hommes lors de la qualification s’élève à 1,16.

 

 

 

Femmes et hommes devant l’étape de qualification aux fonctions de professeur.e.

 

La qualification aux fonctions de professeur.e des universités ne montre pas la même inégalité entre les femmes et les hommes. La relative faiblesse du nombre de candidatures, la variation annuelle de leur nombre et des taux de qualification ne permettent pas de dégager une analyse différenciant à la fois les âges et les sexes. Néanmoins, sur l’ensemble de la période 2009-2015, il apparaît clairement que les taux de qualification des hommes et des femmes aux fonctions de professeur sont très proches, pour ne pas dire équivalents (cf. Tableau 9). Notons au passage que l’observation sur une période plus longue (depuis 1998) aboutit à une conclusion identique (Chenu, Martin, 2016, tableau 4). Si l’analyse croisée des taux de qualification en fonction du sexe et de l’âge n’est pas possible, on peut noter qu’il n’y a pas de différence significative d’âge moyen lors de la candidature à la qualification : pour les hommes comme pour les femmes, cet âge moyen s’élève à 48 ans.

 

Tableau 9 : Nombre de candidat.e.s, de qualifié.e.s et taux de qualification PR,

selon le sexe et l’année de candidature (CNU19, 2009-2015)

 

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

TOTAL

Candidates F

17

20

27

18

26

19

19

146

Candidats H

46

37

41

51

41

25

32

273

Qualifiées F

4

12

13

8

20

11

8

76

Qualifiés H

25

9

15

30

23

15

19

136

Taux de qualification des femmes

24 %

60 %

48 %

44 %

77 %

58 %

42 %

52 %

Taux de qualification des hommes

54 %

24 %

37 %

59 %

56 %

60 %

59 %

50 %

Chances relatives F/H

0,43

2,47

1,32

0,76

1,37

0,96

0,71

1,04

Sources : Rapports annuels du CNU19

 

Cette égalité des chances entre les femmes et les hommes ne doit pas cacher un point crucial : les candidatures féminines à la qualification sont beaucoup moins nombreuses que les candidatures masculines : sur l’ensemble de la période il y a environ deux fois plus de candidatures masculines que de candidatures féminines (35 % contre 65 %). Et ce constat est identique si on se limite aux effectifs des quatre dernières années : il ne semble donc pas y avoir d’inflexion significative. Ce déséquilibre est d’autant plus étonnant que le corps des maître.sse.s de conférences est constitué, à part presque égale, d’individus de chaque sexe. Les quelques candidatures déposées par des individus qui n’occupent pas des fonctions de maître.sse.s de conférences (ingénieur d’étude, cadres du privé, CR du CNRS…) ne permettent pas d’expliquer ce déséquilibre, même en supposant que tous les candidats extérieurs soient des hommes.

Ainsi, si hommes et femmes sont à égalité devant la qualification aux fonctions professorales, ils ne le sont pas devant la possibilité de candidater à la qualification, notamment en soutenant une HDR. Comme nous allons le voir dans la partie suivante, cela a des conséquences sur le profil des recrutés aux fonctions de professeur.e.s des universités.

 

 

L’accès différencié des femmes et hommes aux corps des professeur.e.s

 

Notre article (Chenu, Martin, 2016) montre que la part des maître.sse.s de conférences accédant au corps des professeur.e.s est très différente pour les hommes et pour les femmes : les chances des femmes sont trois fois plus faibles que celles des hommes (pour les générations des maître.sse.s de conférences nommés entre 1991 et 2004 et devenus professeur.e.s entre 1992 et 2013). Nous pouvons retenir cet ordre de grandeur pour ces générations : une maîtresse de conférences sur dix est passée professeure alors que c’est le cas de trois maîtres de conférences (homme) sur dix.

Nous complétons ici cette analyse des parcours des générations par quelques données brutes sur les nominations des professeur.e.s entre 2009 et 2014 (cf. Tableau 10). La répartition des hommes et des femmes dans les nominations aux fonctions de professeur fluctue d’une année sur l’autre mais la faiblesse des effectifs ne permet pas d’en conclure quoi que ce soit. Seule une analyse agrégeant l’ensemble de la période a une signification : un peu plus de 4 nouveaux professeur.e.s sur 10 sont des femmes, contre un peu moins de 6 qui sont donc des hommes.

 

Tableau 10 : Part des femmes dans le recrutement des professeur.e.s (2009-2014)

 

Postes publiés et candidatures

Postes pourvus et nominations

 

Nombre de postes publiés

Nombre de candidat.e.s

Part des femmes

Nombre de Femmes

Nombre de postes pourvus

Part des femmes

Nombre de Femmes

2009

28

55

38,2

21

21

47,6

10

2010

29

67

44,8

30

21

52,4

11

2011

33

80

32,5

26

22

31,8

7

2012

28

94

31,9

30

24

37,4

9

2013

24

74

28,4

21

22

31,8

7

2014

25

76

38,2

29

23

52,2

12

Total

167

446

35,2%

157

133

42,1%

56

Source : MENESR, DGRH, Fiches démographiques de la section 19.

 

De la même manière que nous l’avions fait pour les nominations aux postes de maître.sse.s de conférences, examinons les taux de qualification puis les taux de nomination à un poste de professeur, pour les femmes et les hommes. Et calculons ainsi un taux de chance relative (cf. Tableau 11). Le résultat est sans ambiguïté : les femmes qualifiées ont beaucoup plus de chance d’obtenir un poste (1,34) et, plus largement encore, les candidates à la qualification ont beaucoup plus de chance que les hommes d’obtenir à la fois qualification et poste (rapport de chance = 1,48). Le concours de recrutement des professeur.e.s semble donc nettement favorable aux femmes.

 

Tableau 11 : Taux de qualification des femmes et des hommes, rapport de chance et part des femmes lors des diverses étapes d’accès un poste de professeur.e sur l’ensemble de la période 2009-2014

 

Femmes

Hommes

Rapport de chance F/H

Part des femmes à chaque étape

Candidat.e.s à la qualification

127

241

 

34,5 %

Qualifié.e.s

68

117

 

36,8 %

Taux de qualification

53,5 %

48,5 %

1,10

 

Candidat.e.s à un poste

157

289

 

35,2 %

Nommé.e.s

56

77

 

42,1 %

Taux de nomination par rapport aux candidatures

35,7 %

26,7 %

1,34

 

Effets cumulés *

 

 

1,48

 

Source : MENESR, DGRH, Fiches démographiques de la section 19 ; Rapports de la section 19 du CNU

* Il s’agit de la combinaison arithmétique des deux rapports de chance (celui sur l’étape de qualification et celui sur l’étape de nomination sur un poste de professeur.e). Cette combinaison n’est pas strictement rigoureuse puisqu’il n’y a pas de correspondance parfaite entre les qualifié.e.s et les candidat.e.s à un poste (la qualification dure 4 ans ; on peut être qualifié et ne pas candidater à un poste ; on peut être qualifié par une autre section ; on peut candidater à une autre section en étant qualifié par le CNU19…).

 

Comment concilier ces résultats a priori contradictoires : nous affirmions en début de cette partie qu’« une maîtresse de conférences sur dix est passée professeure alors que c’est le cas de trois maîtres de conférences (homme) sur dix » et, simultanément, nous constatons que les candidates à la qualification PR ont 1,48 fois plus de chance d’accéder aux fonctions professorales ? Il y a peut-être une partie des explications qui provient la démographie du corps des maître.sse.s de conférences et de la (très) relative jeunesse des femmes dans ce corps (cf. Tableau 3). Cette explication ne nous paraît clairement pas suffisante. La principale explication a déjà été évoquée et se situe, en fait, dans la nécessaire distinction entre le groupe des « maitresses de conférences » et le groupe des « candidates à la qualification ». Ces deux groupes ne se recoupent que très partiellement : non seulement tou.te.s les maître.sse.s de conférences (hommes comme femmes) ne sont pas en mesure de candidater à a qualification PR, mais les femmes qui le peuvent sont relativement beaucoup plus rares que les hommes en position de le faire. La sélection et l’inégalité genrée ne se situent pas au moment du concours mais dans le chemin qui y conduit. Il y a plus de 50 % de femmes dans le corps des maître.sse.s de conférences et environ 35 % de candidatures féminines à la qualification professeur.

 

En faisant abstraction des mécanismes qui conduisent à candidater à une qualification de professeur et donc des mécanismes qui mènent à soutenir une HDR, les hommes et les femmes semblent égaux devant cette étape de qualification. Mais comme nous le montrons ici ainsi que dans notre article (Chenu, Martin, 2016) en suivant une autre méthodologie, les différences, en l’occurrence une inégalité en défaveur des femmes, résident dans les conditions qui permettent plus facilement aux hommes de constituer des dossiers de candidature à la qualification professorales, à passer leur HDR. Comment expliquer, sinon, que la part des femmes parmi les dossiers de candidatures à une qualification soit toujours beaucoup plus faible que la part des hommes, alors que le corps des maître.sse.s de conférence est à peu près équilibré : il y a 35 % de femmes contre 65 % d’hommes, soit environ une femme pour deux hommes, parmi les candidat.e.s à la qualification aux fonctions professorales.

Ainsi l’accès à ce corps situé au sommet de la pyramide universitaire est encore relativement plus aisé pour les hommes que pour les femmes (quel que soit le critère utilisé : l’analyse de générations de maître.sse.s de conférences devenus professeur.e.s ou l’analyse brute des nominations).

 

 

Femmes et hommes face à l’avancement dans les corps

 

Terminons par une analyse d’un aspect rarement analysé dans les recherches sociologiques sur les professions académiques et leurs effets de genre : les concours d’avancement dans les grades de deux corps des enseignants-chercheurs des universités.

Pour mémoire, il existe actuellement un grade dans le corps des maître.sse.s de conférences (la « Hors-Classe ») et trois grades dans le corps des professeur.e.s (« Première classe », « Classe exceptionnelle 1 » et « Classe exceptionnelle 2 ») auxquels on n’accède pas par ancienneté mais sur concours. Tou.te.s les candidat.e.s doivent dorénavant déposer leurs dossiers au CNU qui accorde, ou pas, l’avancement de grade. Le CNU transmet ensuite le dossier aux établissements qui peuvent décider, si le CNU ne l’a pas fait, de promouvoir leur enseignant-chercheur. Ces promotions sont très contingentées : au cours du mandat 2012-2015, le CNU19 pouvait annuellement promouvoir 8 ou 9 maître.sse.s de conférence à la « Hors Classe », 8 professeur.e.s à la première classe, 4 ou 5 professeur.e.s à la « CE1 » et enfin 1 ou 2 professeur.e.s à la « CE2 ».

Quelles sont les chances des hommes et des femmes dans ces concours à l’avancement ? Notre analyse ne porte que sur les avancements accordés par le CNU19 durant la période 2012-2015 : nous ne disposons d’aucune donnée sur les avancements accordés par les universités.

Les tableaux ci-dessous (Tableaux 12, 13 et 14) présentent les principaux éléments statistiques pour chacun des grades dont les effectifs sont suffisants pour être commentés (« Hors classe » pour les MCF ; « Première classe, CE1 » pour les PR). Indiquons que le terme « promouvable » désigne tou.te.s les candidat.e.s dont la position administrative permet de prétendre à la promotion considérée. Par exemple, pour être promouvable au grade de « hors classe » du corps des maître.sse.s de conférences, il faut être échelon 7 (au minimum) de la classe normale de ce même corps et avoir accompli au moins cinq ans de services en qualité de maître.sse de conférences.

 

Tableau 12 : Comparaison des succès des femmes et des hommes à la promotion au grade de maître.sse de conférences Hors-Classe (MCFHC) - CNU19, 2012-2015

 

2012

2013

2014

2015

TOTAL

 

Promouvables F

38

36

34

nc

108

 

Promouvables H

52

45

44

nc

141

 

Candidates F

12

18

9

16*

55

 

Candidats H

11

14

6

14*

45

 

Part des F candidatant (période 2012-2014)

36%

Part des H candidatant (période 2012-2014)

22%

Promus F

5

6

5

6*

22 (16)

 

Promus H

3

2

3

3*

11 (8)

 

Part des candidates F promus (période 2012-2015)

40%

Part des candidats H promus (période 2012-2015)

24%

Chances relatives F/H

1,64

Taux de promotion F dans le corps (période 2012-2014)

15%

Taux de promotion H dans le corps (période 2012-2014)

6%

Chances relatives F/H

2,61

Sources : Rapports annuels du CNU19, Statistiques des promouvables et des candidatures transmises par le ministère.

*Attention : Ne disposant pas du nombre de promouvables pour l’année 2015, nous avons calculer les taux de promotion dans le corps et le taux de candidature sur les seules années 2012-2014.

 

 

L’analyse des résultats de l’avancement dans le grade des « Hors Classe » montre clairement des chances accrues pour les candidatures féminines : les femmes ont 2,61 fois plus de chance d’obtenir cet avancement que les hommes. Non seulement elles candidatent plus souvent que les hommes (36 % de celles en position de candidater, c’est-à-dire promouvables, le font, contre seulement 22 % des hommes), mais elles ont également plus de chance d’obtenir cette promotion (40 % des femmes candidates l’ont obtenu, contre seulement 24 % des hommes). Ainsi, au total, 15 % des femmes en mesure de candidater (promouvables) contre 6 % des hommes promouvables ont obtenu la promotion à la « hors classe » : dans le corps des maître.sse.s de conférences, leur seul avancement possible est plus favorablement attribué aux femmes qu’aux hommes.

 

Tableau 13 : Comparaison des succès des femmes et des hommes à la promotion au grade de professeur.e de première classe (PR1C) - CNU19, 2012-2015

 

2012

2013

2014

2015

TOTAL

 

Promouvables F

41

45

46

nc

132

 

Promouvables H

72

67

66

nc

205

 

Candidates F

12

13

8

23*

56

 

Candidats H

31

30

22

12*

95

 

Part des F candidatant (années 2012 à 2014)

25%

Part des H candidatant (années 2012 à 2014)

40%

Promus F

2

4

1

3*

10 (7)

 

Promus H

6

4

7

5*

22 (17)

 

Part des candidates F promus (période 2012-2015)

18%

Part des candidats H promus (période 2012-2015)

23%

Chances relatives F/H

0,77

Taux de promotion F dans le corps (période 2012-2014)

5%

Taux de promotion H dans le corps (période 2012-2014)

8%

Chances relatives F/H

0,64

Sources : Rapports annuels du CNU19, Statistiques des promouvables et des candidatures transmises par le ministère.

*Attention : Ne disposant pas du nombre de promouvables pour l’année 2015, nous avons calculer les taux de promotion dans le corps et le taux de candidature sur les seules années 2012-2014.

 

La situation s’inverse radicalement dans le corps des professeur.e.s : les femmes ont 0,64 fois plus de chance, c’est-à-dire 50 % de chance de moins, que les hommes d’obtenir l’avancement à la première classe des professeur.e.s (cf. Tableau 13). Elles candidatent moins souvent et, lorsqu’elles candidatent, ont moins de chance d’obtenir cet avancement. Au total les hommes ont nettement plus de chances qu’elles de passer de la seconde classe à la première classe des professeur.e.s : seuls 5 % des femmes en mesure d’être promus le sont (par le CNU) contre 8 % des hommes.

 

L’inégalité des chances s’accentue encore pour le passage à la « Classe exceptionnelle 1 » : les femmes ont 5 fois moins de chance d’obtenir cet avancement. Cette fois encore, elles ont moins tendance à candidater (24 % des femmes contre 34 % des hommes le font) et, lorsqu’elles le font, elles ont moins de chance de bénéficier de cet avancement par le CNU (13 % contre 24 %). Au total, seule 2 % des femmes promouvables contre 9 % des hommes sont effectivement promues.

 

Tableau 14 : Comparaison des succès des femmes et des hommes à la promotion au grade de professeur.e de Classe exceptionnelle 1 (PRCE1) - CNU19, 2012-2015

 

2012

2013

2014

2015

TOTAL

 

Promouvables F

13

18

27

nc

58

 

Promouvables H

51

45

55

nc

151

 

Candidates F

3

4

7

9*

23

 

Candidats H

17

17

17

16*

67

 

Part des F candidatant (période 2012-2014)

24%

Part des H candidatant (période 2012-2014)

34%

Promus F

0

0

1

2*

3 (1)

 

Promus H

5

4

4

3*

16 (13)

 

Part des candidates F promus (période 2012-2015)

13%

Part des candidats H promus (période 2012-2015)

24%

Chances relatives F/H

0,55

Taux de promotion F dans le corps (période 2012-2014)

2%

Taux de promotion H dans le corps (période 2012-2014)

9%

Chances relatives F/H

0,20

Sources : Rapports annuels du CNU19, Statistiques des promouvables et des candidatures transmises par le ministère.

*Attention : Ne disposant pas du nombre de promouvables pour l’année 2015, nous avons calculer les taux de promotion dans le corps et le taux de candidature sur les seules années 2012-2014.

 

Il n’est pas raisonnable d’établir des statistiques sur les promotions dans le grade suivant, celui des professeur.e.s de classe exceptionnelle 2 (PRCE2) : les nombres de promouvables et de candidat.e.s sont très réduits (entre 4 et 13 par an, sur la période 2012-2015) et le nombre de promotions très faible (généralement une seule). Il est impossible d’établir une quelconque régularité statistiques sur des effectifs aussi réduits. Nous pouvons simplement indiquer les nombres concernés : il y a eu 30 candidatures masculines et 7 féminines ; 1 homme et 3 femmes ont été promus au cours de la période. Il faut impérativement se garder d’en conclure quoi que ce soit sur les chances relatives des femmes et des hommes, tant les cas sont peu nombreux, toujours très singuliers et spécifiques à un contexte de concours donné.

 

Au total, l’analyse des avancements montre une situation très contrastée : un avantage indéniable pour les candidatures féminines dans le corps des maître.sse.s de conférences, mais un avantage encore plus prononcé pour les candidatures masculines dans le corps des professeur.e.s. Cet avantage pour les hommes semble même s’accentuer dans le grade le plus élevé (celui de la « Classe exceptionnelle 1 », dont nous pouvons considérer qu’une analyse statistique a un sens minimal).

Ainsi, quelles qu’en soient les raisons, les hommes semblent nettement plus facilement progresser dans le corps des professeur.e.s tandis que les femmes disposent davantage de chance de le faire dans le corps des maître.sse.s de conférences. Enfin, signalons, de manière plus qualitative, que les hommes contestent beaucoup plus souvent, et avec plus de virulence, les résultats. Durant les quatre années de mon mandat, les protestations qui m’ont été adressées sont presqu’exclusivement issues des hommes dont la candidature n’avait pas été retenue pour une promotion. Les hommes se sentent-ils beaucoup plus souvent que les femmes dans leur bon droit ? En tout cas, ils semblent beaucoup moins hésiter que les femmes à protester, à contester, à mettre en cause le bien-fondé des choix du CNU.

 

 

Conclusion

 

Les corps des enseignants-chercheurs en sociologie et démographie ont déjà connu une histoire longue, faite de profondes transformations. N’oublions pas, par exemple, qu’il y a environ trente ans, la part des femmes dans le corps des maître.sse.s de conférences était égale à la part qu’elles représentent maintenant dans le corps des professeur.e.s (un peu moins d’un tiers). Aujourd’hui, elles sont majoritaires dans le corps des maître.sse.s de conférences. N’oublions pas, non plus, que la part des femmes dans le corps des professeur.e.s a presque été multipliée par trois durant cette même période. D’autres transformations sont en cours et rien ne laisse penser que la situation connue aujourd’hui perdurera. Au rythme des recrutements actuels, la part des femmes va continuer à croître dans le corps des professeur.e.s.

Il n’en reste pas moins que le corps des professeur.e.s est encore dominé par une logique favorisant les hommes, en amont du processus de recrutement (constituer progressivement un dossier équilibré et complet, et se projeter dans la préparation puis la soutenance d’une HDR) et après le recrutement, lors des promotions. Seule la phase de recrutement proprement dite semble donner un avantage relatif aux candidatures de femmes. Cela ne compense pas les autres facteurs, et la part des femmes parmi les nouveaux professeur.e.s reste nettement inférieure à ce qu’elle représente, statistiquement, dans le corps des maître.sse.s de conférences.

En d’autres termes, les femmes réussissent aussi bien voire mieux les épreuves de qualification et les concours sur les postes de professeur.e.s, mais elles semblent perdre une partie de leurs avantages en résistant moins bien que les hommes à la « course de fond » qui se dispute pour progressivement constituer un dossier susceptible d’être reconnu comme un dossier de professeur. Celles qui parviennent à « tenir la distance et le rythme », arrivent en très bonnes places sur la « ligne d’arrivée des concours de professeur.e.s », mais beaucoup abandonnent voire ne prennent pas part à cette course qui suppose de pouvoir concilier des activités de recherche et d’enseignement, des prises de responsabilités, ainsi que toutes les autres dimensions de la vie individuelle. C’est conforme à ce que nous établissions par d’autres moyens dans l’article déjà cité (Chenu, Martin, 2016). Les femmes sont également en moins bonne posture que les hommes pour obtenir des promotions dans le corps des professeur.e.s. Elles disposent en revanche de chances supérieures à leurs homologues masculins dans le corps des maître.sse.s de conférences. Tout cela conduit à penser que l’accès au corps des professeur.e.s et que la progression dans ce corps reste plutôt un domaine où les hommes tirent beaucoup mieux leur épingle du jeu que les femmes, tandis que les « privilèges » s’inversent entre les deux sexes dans le corps des maître.sse.s de conférences. Ainsi, au-delà de leur composition démographique, le corps des maître.sse.s de conférences est plutôt « féminin » et le corps des professeur.e.s est plus « masculin »…

 

Une telle étude et les résultats qu’elle souligne ne peuvent pas ne pas interroger tout membre du CNU et notamment son ancien président. Une meilleure connaissance de ce que « fait » le CNU permettrait-elle de changer les choses ? Il est possible qu’une plus grande lucidité sur le processus de qualification ou de promotion permette de s’interroger différemment sur la manière dont les dossiers de candidature sont analysés. Mais cette plus grande lucidité ne permettrait de toute façon pas d’augmenter le nombre des candidatures, que ce soit à la qualification PR ou à la promotion. Comme nous l’indiquions, il existe des filtres et des processus d’élimination en amont de toute candidature. Et il existe des mécanismes profonds qui fabriquent de l’inégalité dans les conditions d’exercice du métier, à travers les prises de responsabilité, les conditions pratiques d’exercice du métier, les directions de recherche… Sur tout cela, le CNU ne peut rien. Tout au plus peut-il aider à faire prendre conscience – ce que cet article a la modestie de prétendre faire, au moins un peu.

De manière plus générale, de tels résultats ne peuvent pas ne pas interpeller toute instance ou toute agence d’évaluation. Ils rappellent à tous une évidence : le travail d’évaluation ne porte que sur les dossiers qui parviennent aux évaluateurs. Ils ne peuvent pas agir sur les mécanismes de production des candidatures : les évaluateurs travaillent sur des dossiers façonnés par des processus sociaux traversés par des inégalités, que celles-ci soient genrées, générationnelles, culturelles…

De ce point de vue, instaurer des quotas ne changerait pas fondamentalement la situation : tout au plus cela permettrait-il à celles (et ceux) qui sont déjà bien partis pour franchir les obstacles de les franchir avec plus de facilité, mais cela ne permettrait pas à celles (et ceux) qui ont abandonné la « course à obstacles » de revenir dans la course… Les changements ne peuvent pas se réduire à des quotas, ni à un quelconque suivi méticuleux des candidatures et de leur destin : les changements profonds nécessaires concernent le fonctionnement de notre monde académique, nos manières de travailler et de définir les « bons dossiers », nos façons d’articuler les normes professionnelles avec les autres normes sociales, nos attentes et la façon de prendre en compte les chemins pluriels et les contraintes qui pèsent sur les unes et les uns de manière différenciée…

 

 

 

Sources :

  • Alain Chenu, 2002, « Une institution sans intention. La sociologie en France depuis l’après-guerre », Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, p. 46-59.

  • Alain Chenu, Olivier Martin, 2016, « Le plafond de verre chez les enseignants-chercheurs en sociologie et démographie », Travail, genre et sociétés, n° 36.

  • Journal officiel, consultations et recherches sur le site http://www.legifrance.gouv.fr/.

  • MENESR, DGRH, Fiches démographique des sections, 2013/2014 et 2012/2013.

  • Rapports de la section 19 du CNU, années 2012, 2013, 2014, 2015.

 

 

Note :

Je remercie Jean-Baptiste Comby, Christine Détrez, Clotilde Lemarchant et Cécile Rabot pour leurs lectures et leurs remarques. Je reste responsable des éventuelles erreurs.

1 Nous reprenons ici les nomenclatures et le vocabulaire du Ministère de l’Enseignement supérieur : les sections du CNU sont divisées en « Grandes disciplines » (Droit, Lettres, Sciences, Pharmacie), puis en « Groupe » (par exemple : « Droit et sciences politiques », « Langues et littératures », « Sciences Humaines », « Sciences de la terre »…) puis en « Sections » (par exemple la section 19 « Sociologie, démographie »).

2 Et durant cette même période, certaines disciplines « scientifiques » ont vu leurs effectifs baisser (par exemple la physique).

3 Le test de significativité des écarts des taux est significatif à 95 %, comme le test du Khi2.