Après l'entrée à l'université, le chantier de la réforme de la licence est lancé, Le Monde, Camille Stromboni

 

Le ministère de l’enseignement supérieur se donne trois mois pour aboutir.
 

Le système de compensation des notes et des semestres à l'université va-t-il disparaître? Que vont devenir les sessions de rattrapage destinées aux étudiants qui échouent aux partiels? Derrière ces questions d'apparence technique, c'est un dossier particulièrement sensible que le gouvernement s'apprête à ouvrir : celui des règles qui vont s'appliquer, dès la prochaine rentrée, dans les formations delicence. Elles seront, à coup sûr, scrutées de près par le million d'étudiants inscrits en premier cycle universitaire.

Le ministère de l'enseignement supérieur sait combien ce sujet est explosif et capable de mettre les étudiants dans la rue. D'où la prudence avec laquelle Frédérique Vidal, la ministre de l'enseignement supérieur, a ouvert, mardi 6 mars, la " concertation " promise pour le début de l'année avec les représentants de lacommunauté universitaire. A l'issue d'une série de rencontres entre vos organisations, mon cabinet et la DGESIP - direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle - , je reviendrai vers vous le 20 mars prochain, a ainsi annoncé la ministre de l'enseignement supérieur aux élus du Conseil national de l'enseignement supérieur et dela recherche (Cneser). - Avec - un calendrier et une méthode de travail. " Mais l'échéance est bien  la ministre se donne " trois mois " pour fixer ce nouveau -cadre à la licence.

Mais s'il n'est pas question de brusquer les choses, le calendrier s'annonce néanmoins serré. Cette refonte des textes réglementaires régissant les premières années universitaires constitue un passage obligé pour s'adapter à la loi - adoptée par leParlement le 15 février - fixant les nouvelles règles à l'entrée de l'université et qui seront appliquées dès cette année. Avec denombreux bouleversements à mener : parcours personnalisé promis pour chaque étudiant en licence; diplôme suivi en deux, trois ou quatre ans; année ou dispositif de remise à niveau, pour ceux qui n'auraient pas les " attendus " d'une formation (les compétences jugées nécessaires pour y entrer)... Cette remise à plat du premier cycle universitaire constitue la pierre angulaire dela réforme, qui doit permettre de lutter contre des taux d'échec élevés.

" Si nous voulons mettre en place ces parcours personnalisés, il nous faut plus de souplesse, et cela nécessite notamment deredéfinir les règles de compensation , défend Gilles Roussel, à la tête de la conférence des présidents d'université (CPU). Nous ne souhaitons pas que "tout compense tout". " Les enseignants se sont toujours montrés peu favorables au système de compensation intégrale (entre les notes, les unités d'enseignement, les semestres...) pratiqué depuis l'arrêté " licence " de 2011, défendu àl'inverse par des organisations étudiantes comme l'UNEF comme une vraie " victoire des étudiants " . Seule -certitude pour l'instant, " les compensations ne se feront plus à l'année, les années n'ayant plus lieu d'être " avec des " licences beaucoup plus flexibles " a déjà affirmé Frédérique Vidal.

La seconde session d'examens, jusqu'ici obligatoire, est, elle aussi, sur la sellette. Les universités pourront " développer des méthodes d'évaluation diversifiées " a avancé la ministre. Thierry Mandon, son prédécesseur, avait pour sa part reculé en 2016, après avoir tenté d'ouvrir la possibilité de supprimer les rattrapages pour les universités qui mettaient en place une évaluation continue durant l'année d'études.

" Simple démagogie "Il faut dire que ce sujet constitue un casus belli pour l'un des principaux syndicats étudiants, l'UNEF. Legouvernement Macron veut continuer dans sa logique libérale et détricoter les droits des étudiants " , dénonce Jaspal de Oliveira Gill, à la tête du syndicat à l'université Paris-I. Une position que ne partage pas en revanche la FAGE, première organisation étudiante et soutien de la réforme en cours. La fédération se dit favorable à une évolution en posant ses conditions : la fin des règles de compensation actuelle doit être synonyme d'une transformation de la licence en blocs de compétences, tandis que lasuppression de la seconde session d'examen ne doit intervenir que si l'université met en place un véritable contrôle continu.

Au-delà de ces deux sujets emblématiques pour les étudiants, la refonte de l'organisation générale de la licence est, elle, attendue de pied ferme par les enseignants. " Dans les conditions singulièrement dégradées qui sont les nôtres depuis plusieurs années, l'annonce d'une "licence sur mesure", prenant en "compte le parcours et les aspirations de chaque étudiant" relève de la simple démagogie ", alertent déjà des universitaires en langues à l'université de Nanterre, dans une motion du 20 février.

D'importantes questions vont devoir être tranchées. Les étudiants pourront-ils s'inscrire demain " à la carte ", pour un semestre ou une unité d'enseignement? Les enseignants vont-ils devoir repenser les maquettes, élaborées jusqu'ici dans une progression pédagogique sur trois ans?

Une dernière interrogation inquiète déjà certains universitaires : va-t-on toucher au régime de 1 500 heures minimum, fixé dans l'arrêté licence " pour chaque formation? Une règle que beaucoup considèrent comme la garantie d'un diplôme national de qualité comparable dans toutes les universités de France - même si ce volume horaire n'est déjà plus respecté dans certaines universités, qui réduisent la voilure, faute de moyens suffisants pour assurer autant d'heures d'enseignements.

La question est de savoir jusqu'où veut aller le gouvernement, interroge Stéphane Leymarie, secrétaire général du syndicat Sup'Recherche (UNSA). V a-t-il toiletter l'arrêté "licence" pour permettre l'atterrissage de la loi, en douceur? Ou compte-t-il rouvrir des débats ultrasensibles, comme celui des 1 500 heures? " Le syndicaliste plaide clairement pour la première option. " Nous avons déjà assez de sujets difficiles à traiter. "

Camille Stromboni