« Ce n’est pas parce que l’on vient d’un Bac pro ou techno que l’on ne peut pas réussir à la Fac ! »

Un billet du Trappy Blog rédigé par Abdelhamid Chalabi, actuellement étudiant en sociologie de l’UVSQ.

http://www.trappyblog.fr/nest-lon-vient-dun-bac-pro-techno-lon-ne-reussir-a-fac/

Farah et Sélim, 22 et 24 ans, sont passés par un bac technologique. Aujourd’hui elle est hôtesse d’accueil chez Mercedes alors qu’il poursuit ses études en Master. Mariama, 22 ans, est titulaire d’un bac pro ; elle espère valider sa licence de sociologie et s’insérer dans la vie professionnelle. Retour sur leur parcours et leur ressenti sur la nouvelle réforme des universités.

« Si j’avais été bien informée, j’aurais poursuivi mes études … »

Farah garde aujourd’hui le sourire, mais elle éprouve un certain regret lorsqu’elle se souvient de ses années post bac : « Je n’ai pas regretté une seule seconde mon choix en STG, mais les conseillers d’orientation au lycée sont quasi inexistants ». À 22 ans, la jeune femme est actuellement hôtesse d’accueil en CDI chez Mercedes. Elle affirme avoir opté à la fin de sa seconde pour la filière technologique par dépit, mais pas uniquement. Le corpus des matières est aussi un facteur à prendre en compte. Les maths et la physique n’étant pas vraiment ses points forts, son choix se porte davantage vers une première ES ou STG. « Tout le monde disait si t’as 9, 10 ou en 11 de moyenne tu vas en STG, mais en seconde certains avait 10,5 et passaient en ES alors que j’avais 11,5 et j’ai dû passer en STG. Arrivée en première, je me retrouve avec des anciens camarades qui avaient 14 de moyenne, qui auraient pu aller en S et pourtant ils étaient avec moi. »

Si j’avais été bien informée au lycée j’aurais pu réussir, j’en ai les capacités … »
Après l’obtention du Bac, Farah est perdue et ne sait pas quelle orientation prendre. Elle aimerait devenir professeur d’espagnol et se dirige vers une licence à l’Université de Versailles-Saint-Quentin : « Je voulais être prof de langue, mais à la fac je me suis retrouvée à suivre des cours de cinéma ou encore des cours sur le parlement britannique en anglais, alors que j’étais en licence d’espagnol ! Je me souviens, ils nous avaient dit qu’étant donné que la licence ne comportait pas assez de matières alors il fallait bien en rajouter », s’exclame-t-elle.

Près de la moitié de la classe, Farah y compris, ont du mal à accrocher et finissent par abandonner au bout d’un semestre. Découragée, elle décide tout de même de se réorienter en licence AES (administration économique et sociale). Elle abandonne une nouvelle fois puis finit par revenir en licence d’espagnol « je suis retournée en espagnol, car j’avais validé certaines matières, mais la deuxième [première année] je n’ai pas accroché non plus ». La jeune étudiante est démotivée et finit par décrocher définitivement. Le sentiment d’échec est là, « Aujourd’hui je me retrouve là à gagner un smic alors que si j’avais été bien informée au lycée j’aurais pu réussir, j’en ai les capacités … »

« En sociologie je me suis retrouvé avec des Bacs S, ES et L et j’étais meilleur qu’eux »

Sélim a 24 ans, il est aujourd’hui en Master 1 de sociologie. À la fin de sa seconde, il s’est dirigé vers la filière STG par choix : « Les profs voulaient que j’aille en ES mais je n’étais pas très motivé. Pour moi STG ce n’était pas une mauvaise filière. » Il tente tout de même de satisfaire le souhait de ses professeurs et entame une première ES. Il abandonne au bout de deux semaines et se tourne vers une première STG, son premier choix. Lorsqu’il obtient son bac, il envisage d’entreprendre un BTS assistant-manager. « Quand j’ai eu mon bac on m’a dit fais ce BTS ! Fais ce BTS ! ». Sélim souhaite intégrer une école à la suite de son BTS, mais la formation ne lui plait pas. Il abandonne au bout d’une année. Le jeune bachelier STG intègre alors une année de prépa qu’il valide, mais ne s’y retrouve pas non plus. Après une année de césure et de mûre réflexion, Sélim décide d’intégrer une licence de sociologie à l’université.

Arrivé en Licence, il découvre une classe aux parcours scolaires très divers. « En socio je me suis retrouvé avec des camarades qui venaient de bac S, ES et L et j’avais de meilleures notes qu’eux. » Il se souvient même de certains de ses camarades provenant d’un bac général qui ont abandonné tous deux durant la licence. « Quoi qu’on puisse dire, en STG on est formé aux dissertations, aux devoirs maison, aux maths, on acquiert une autonomie. J’ai beaucoup d’amis qui ont fait une licence AES, aujourd’hui ils sont en Master et proviennent d’un Bac STG. »

Au sein du Master, nous sommes 5 étudiants sur 7 à provenir d’un bac STG »
Sur ses années de lycée, Sélim porte un regard amer : « On n’était vraiment pas aidé niveau orientation, ni de la part des profs ni des conseillers d’orientation, alors que les élèves issus des classes supérieures eux ils savaient très bien vers où ils allaient … », déplore-t-il.

Sélim se sert de son expérience et de son parcours afin d’accompagner et d’orienter sa petite sœur aujourd’hui en terminale. Elle est amenée à expérimenter la nouvelle plateforme Parcours sup et découvre d’ores et déjà qu’elle ne peut y faire figurer tous les vœux de son choix, comme c’était le cas avec APB (admission post bac). Selon le jeune homme, la mise en place de Parcours sup va participer à une sélection accrue à l’université bien que c’était déjà le cas avec APB. En tant que bachelier STG et étudiant en Master 1, il regrette amèrement la nouvelle réforme du gouvernement : « L’école doit garantir l’égalité des chances et permettre l’ascension sociale pour tous et dans un futur proche on va refuser de laisser la chance à certains en leur disant vous allez faire un BTS c’est tout ! Aujourd’hui au sein du Master, nous sommes 5 étudiants sur 7 à provenir d’un bac STG, la plupart issus des classes moyennes ». Pourtant en 2016, une note du ministère de l’enseignement supérieurmontrait le contraire. Les bacheliers généraux passent mieux le cap de la première année de licence (49%), les bacheliers technologiques ne sont que 16% et les pros 6,5%.

« Ce n’est pas parce que l’on vient d’un Bac pro que l’on ne peut pas réussir à la Fac ! »

De son côté, Mariama est celle qui a rencontré le plus de difficultés durant sa scolarité. Depuis la fin de sa 3e au collège, elle souhaite travailler le plus tôt possible : « J’avais pas mal de difficultés, ce qui me faisait passer d’une classe à l’autre ce n’était pas mes notes, mais plutôt mon comportement et ma persévérance », confie-t-elle. A 22 ans Mariama est en troisième année de licence et titulaire d’un bac pro. Issue des classes populaires, elle se dirige vers un Bep carrière sanitaire et sociale : « Mon souhait était de travailler avec les enfants, mais à l’époque il y a eu une réforme qui consistait en la suppression de mon Bep. Je me suis alors dirigée vers un Bac pro ASSP qui est en quelque sorte son équivalent ». Durant sa dernière année en Bac pro, Mariama prend goût pour les études et voit naître en elle une volonté de poursuivre, d’aller plus loin. La jeune étudiante est indépendante et rigoureuse dans ses études et obtient son Bac pro avec 15 de moyenne générale.

Motivée, elle croit en ses capacités et souhaite poursuivre en BTS, mais elle comprend rapidement que sa persévérance sera mise à rude épreuve. « Après avoir obtenu mon Bac je me suis dirigée vers un centre d’orientation, j’ai parlé avec la conseillère en lui remettant mon bulletin de notes. Je lui dis que je souhaite poursuivre en BTS, elle me regarde et me demande de quel lycée et de quel quartier je viens. Lorsque je lui réponds, elle m’a dit qu’il valait mieux attendre le concours d’aide-soignante. J’ai pris mon sac et je suis partie. »

N’ayant pas trouvé de place en BTS, elle souhaite intégrer l’université de Versailles Saint-Quentin et procède en passant par APB (Admission Post Bac). Sa candidature sera retenue lors de la dernière session accordée aux retardataires. « C’est certainement la raison pour laquelle je garde un bon souvenir d’APB ! » s’exclame-t-elle tout sourire. La jeune bachelière entre alors en première année de licence de sociologie et tire profit de l’accompagnement accordé par ses professeurs et ses camarades « les profs m’ont beaucoup aidée, j’échangeais beaucoup avec eux. Aussi j’avais de bons camarades de classe, et puis mon expérience acquise en Pro m’a été utile dans certaines matières. Je me suis donné les moyens de réussir ! ».

Avec la nouvelle reforme il y a le risque que les futurs bacheliers STG et Pro pour la plupart issus des classes moyennes et populaires soient mis à l’écart. La fac sera alors réservée pour une certaine élite »
La nouvelle réforme du gouvernement a pour objectif de supprimer le tirage au sort dans les filières dont le nombre de places est inférieur aux candidatures et de réduire le taux d’échec en première année de licence, qui avoisine les 60%. Les bacheliers qui ne répondraient pas à ces pré-requis (définis au niveau national puis affinés par chaque établissement) seraient dans l’obligation de suivre un parcours d’accompagnement pour y être acceptés.

Sur cette réforme, le point de vue de Mariama ne diffère pas vraiment de celui de Farah et Sélim, si ce n’est qu’il est plus prononcé : « Avec la nouvelle reforme il y a le risque que les futurs bacheliers STG et Pro pour la plupart issus des classes moyennes et populaires soient mis à l’écart. La fac sera alors réservée pour une certaine élite. Clairement on risque d’assister à plus de sélection et plus d’inégalités comme si l’on n’était pas assez stigmatisé, les Bac Pro … Ce n’est pas parce que l’on vient d’un Bac pro que l’on ne peut pas réussir à la Fac ! » La jeune étudiante intervient aujourd’hui à la demande de ses anciens professeurs, en 3e année de Bac pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne). Cela dans le but de redonner espoir à celles et ceux qui, comme elle, n’ont pas eu la chance d’appartenir aux classes sociales privilégiées. « Les élèves sont renfermés dans leur stigmatisation bien qu’ils aient les capacités pour réussir. Je leur dis toujours : “J’ai étudié dans le même lycée que vous et aujourd’hui je suis à l’université de Versailles Saint-Quentin !” ».

Abdelhamid Chalabi