Sélection à l’université : de la reproduction sociale à l’exclusion (Tribune, Libération par Leïla Frouillou et Julie Le Mazier)

 

Par Leïla Frouillou, Maître de conférences en sociologie, université Paris Nanterre et Julie Le Mazier, Docteure en science politique — 17 janvier 2018 à 10:17

La nouvelle plate-forme « Parcoursup » pour l’orientation post-bac prétend assurer une place à tous les élèves dans l’enseignement supérieur. Une nouveauté qui cache le manque de moyens des universités et qui oblige les élèves à devenir les auto-entrepreneurs de leur avenir.

Le « plan étudiants » du gouvernement n’est pas simplement une énième réforme des universités érodant le service public d’enseignement supérieur, engloutissant des personnels désormais habitués à appliquer dans l’urgence, le chaos et la pénurie de moyens des mesures iniques tant pour eux que pour les jeunes qu’ils sont supposés accueillir. C’est un tournant, qui détruit le droit à l’éducation. L’enseignement supérieur produisait déjà des effets massifs de reproduction des inégalités sociales. Au lieu de les combattre, ce plan le fait basculer vers un système d’exclusion de certaines catégories, majoritairement issues des classes populaires, hors des études supérieures.

Le plan étudiants est présenté comme un ajustement technique, qui fait passer d’une plateforme d’accès à l’enseignement supérieur, Admission post-bac (APB), à une autre, Parcoursup. Il s’agit selon le gouvernement d’améliorer l’orientation, donc la réussite des étudiants, les « mauvaises orientations » étant rendues responsables de l’échec en première année universitaire, plus sûrement imputable au manque de moyens alloués aux établissements. Dans les faits, il met en place une sélection, voire une exclusion de certains lycéens.

Découragement, autocensure et auto-exclusion

D’ores et déjà, il sacrifie une classe d’âge, celle des élèves actuellement en terminale. Ceux-ci doivent se familiariser en même temps que leurs enseignants à une nouvelle version du système, émettre dix vœux, produire des lettres de motivation, en situation de complète incertitude, avec peu de chances de maîtriser les critères selon lesquels on les laissera ou non accéder à certaines formations. A chaque étape de leur parcours, les élèves les plus fragiles sont susceptibles d’être découragés. Les conseils de classe émettent des avis sur leurs projets. Les formations du supérieur doivent publier des « attendus », conditions supposément requises pour y réussir, favorisant l’autocensure et en fait l’auto-exclusion.

Le plan étudiants constitue également un énorme surcroît de travail pour les personnels des universités qui seront chargés d’examiner leurs candidatures, en prenant en compte non seulement le dossier scolaire mais aussi des éléments annexes comme les lettres de motivation ou des expériences de stage. Le gouvernement joue double jeu, promettant aux lycéens et à leurs parents un examen qualitatif de tous les dossiers, tout en rassurant les universitaires sur la mise en place d’algorithmes locaux pour les trier automatiquement en fonction des notes. Comment classer autrement en deux semaines les milliers de dossiers qui arriveront dans les formations universitaires ?

Vers un marché de l’enseignement supérieur

L’urgence et les difficultés techniques masquent cependant l’enjeu politique crucial de cette réforme. Le simple fait d’ouvrir les dossiers de celles et ceux qui souhaitent entrer à l’université constitue de fait une mise en place de la sélection. La définition d’attendus, conditions pour être admis à l’université, abolit le dernier espace d’ouverture des possibles de poursuite d’études qui existait au milieu de formations sélectives toujours plus nombreuses. En favorisant la mise en concurrence des étudiants comme des formations, plus ou moins sélectives parce que plus ou moins attractives, ce plan acte la mise en place d’un marché de l’enseignement supérieur. Chaque lycéen, autoentrepreneur de son parcours scolaire, doit faire en sorte de se faire recruter par une formation. Parallèlement, le gouvernement accroît la différenciation des formations et des parcours, avec des licences, et bientôt des lycées, à la carte. Avec pour conséquences une hiérarchisation et une ségrégation accrues, protégeant toujours plus les circuits de formation des élites, qui bénéficient de financements importants.

La saturation des capacités d’accueil dans un contexte de croissance démographique parachève le dispositif. Alors que, depuis 1968, la loi garantissait l’accès de tout bachelier aux études supérieures, les universités pourront à présent refuser les candidatures les moins bien classées une fois atteint un seuil fixé au préalable. Un autre choix était possible : la dernière explosion en date du nombre de bacheliers s’était traduite en 1991 par le plan U2000, créant huit nouvelles universités dont quatre en Ile-de-France. Aujourd’hui, le gouvernement choisit une option qui se traduira par une exclusion des bacheliers scolairement les plus faibles.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement tente de bloquer l’accès des classes populaires aux lieux d’études, synonymes d’accès aux emplois les plus stables, valorisés et rémunérateurs, par l’instauration de la sélection à l’entrée de l’université. Ce fut le cas avant 1968, et encore en 1986. Chaque fois, une grève d’ampleur dans les lycées et les universités a permis l’abandon des projets. Aujourd’hui de nouveau, nous sommes à la croisée des chemins. Il est encore temps de refuser de prendre celui de la sélection.

Leïla Frouillou Maître de conférences en sociologie, université Paris Nanterre , Julie Le Mazier Docteure en science politique