Tribune - Parcoursup : pour l'abrogation de la loi ORE - Libération

Face au bilan désastreux de la plateforme post-bac, il est urgent de sortir du cadre de la loi Ore et de restaurer le droit aux étudiants d'accéder aux universités de leur choix, lesquelles devront être dotées de moyens humains et financiers supplémentaires.

Une tribune publiée dans Libération le 19 septembre

Par un collectif de responsables syndicaux et associatifs de l'enseignement 

Raymond Artis président de la FCPE; Louis Boyardprésident de l’Union nationale lycéenne; Marie Buisson secrétaire générale de la FERC-CGT; Cybèle David, cosecrétaire de la fédération SUD éducation; Jean-Louis Fournel collectif Sauvons l’université; Bernadette Groison secrétaire générale de la FSU; Lilâ Le Basprésidente de l’UNEF, Marouane Majrar porte-parole de la FIDL; Romain Pudal Association des sociologues enseignants du supérieur; Hubert Raguin secrétaire général de la FNEC-FP-FO

Durant l’année scolaire 2017-2018, nos organisations n’ont cessé de dénoncer la loi relative «à l’orientation et à la réussite des étudiants» (ORE) qui met en place le dispositif d’affectation post-bac Parcoursup et généralise la sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur. A quelques jours de la clôture de la procédure, il est manifeste que Parcoursup a plongé dans le désarroi des centaines de milliers de jeunes, et fait pire que le système antérieur, le très décrié Admission post-bac (APB). En juin, nous écrivions : «Nos organisations soutiennent l’ensemble des bacheliers et de leurs familles qui revendiquent le droit à la poursuite d’étude dans une filière correspondant à leurs choix et à leurs aspirations. Elles affirment la nécessité d’un plan d’urgence pour l’enseignement supérieur qui mette en adéquation les places disponibles et le nombre de bacheliers et d’étudiants en demande de réorientation.» Ces lignes sont d’une brûlante actualité. Nous exigeons l’abrogation de la loi Ore.

Un bilan désastreux

A la rentrée de septembre 2017 avec APB, il restait 6 000 bacheliers sans affectation ; à la rentrée 2018, ils étaient 9 000 recensés par le ministère. Mais ils étaient également 40 000 sur liste d’attente et 70 000 à avoir une place mais à espérer d’autres réponses, donc non satisfaits, et 180 000 à être sortis du dispositif, en abandonnant Parcoursup. Ces candidats se sont résignés et ont renoncé aux études supérieures, ou sont allés remplir les caisses de l’enseignement privé, véritable gagnant de l’opération. Contrairement à APB, Parcoursup ne permet pas de quantifier le nombre d’étudiants qui ont vraiment la place de leur choix, puisque le gouvernement a obstinément refusé de leur faire renseigner leur premier vœu, donc de le prendre comme critère d’affectation. Ce bilan, nous le dressons avec le peu de données dont nous disposons, puisque le gouvernement a refusé, malgré nos demandes répétées, de communiquer les critères de sélection des formations d’enseignement supérieur, également méconnus des candidats, tout comme la répartition des lycéens sans affectation selon les filières de bac, les territoires et les établissements. Nous savons cependant que des pondérations de moyenne en fonction de la filière de baccalauréat et des lycées d’origine ont pu être appliquées à l’université, ce qui renforce la sélection sociale déjà existante dans de nombreuses filières de l’enseignement supérieur. L’établissement d’origine, c’est-à-dire sa réputation, pèse encore davantage dans l’accès à l’enseignement supérieur. Nous recevons aussi de très nombreux témoignages de jeunes, qui se retrouvent sans formation et désemparés en cette rentrée. Là où avant il leur suffisait d’avoir le baccalauréat pour avoir le droit de s’inscrire dans la formation universitaire de leur choix, les bacheliers ont été triés, sélectionnés en fonction des critères locaux imposés par la loi. L’objectif du gouvernement, sous couvert «d’orientation et de réussite des étudiants», est bien d’éjecter des milliers de jeunes du système universitaire.    


Une rentrée critique

Avec 70 000 étudiants encore en attente d’autres réponses au 5 septembre, et d’autres qui ont continué d’être affectés après cette date, les établissements d’enseignement supérieur doivent faire leur rentrée sans avoir une connaissance exacte de leurs effectifs en première année. Certains étudiants arriveront après le début des enseignements, alors qu’il s’agit justement des plus fragiles. Des établissements ont été contraints d’augmenter leurs capacités d’accueil sans moyens supplémentaires. Dans certaines formations, les emplois du temps ne sont pas finalisés, les locaux ne sont pas affectés, les enseignants ne connaissent pas leurs services définitifs. Les dispositifs «oui si», proposés aux candidats dont on a jugé qu’ils pouvaient tirer profit de remises à niveau pour réussir dans la formation de leur choix, étaient la vitrine du plan de communication gouvernemental. Faute de moyens et de temps pour les préparer, ils peinent à être organisés et il manque des enseignants pour les assurer. La situation sociale des étudiants affectés tardivement est critique lorsqu’elle a repoussé d’autant leur recherche d’un logement. Le gouvernement a refusé de faire le seul choix qui s’imposait, la création de places pour garantir l’égalité d’accès aux études, par un refinancement public de l’enseignement supérieur, et cela sous couvert d’arguments budgétaires au moment même où il s’apprête à mettre en place un service national universel à trois milliards d’euros.
 

Dans le sillage de la loi Ore

Les élèves qui entrent aujourd’hui en seconde forment la première génération qui passera le nouveau bac. Dans le cadre de la réforme du bac et du lycée, dont ils sont aujourd’hui les cobayes, ils devront, dès cette année, faire part de leur choix d’enseignements de spécialité pour leur année de première. Le flou reste total sur le contenu comme sur ceux qui pourront être proposés dans chaque lycée et sur qui décidera, in fine, quels enseignements suivra l’élève en première. Pourtant les spécialités suivies seront un critère décisif pour l’orientation dans le post-bac. Dans le même temps, le gouvernement détruit le service public d’orientation, au risque de lui substituer un marché d’officines privées et de «coachs scolaires» aussi inefficaces qu’inaccessibles aux enfants des classes populaires.


Nous n’acceptons pas que  les lycéens se retrouvent enfermés dans une orientation subie, qui hypothèque leurs choix futurs, lors de leur passage dans l’enseignement pas plus que nous ne validons la réforme de la licence, qui brise le cadre national des diplômes avec des formations «à la carte».


Le gouvernement refuse d’affronter l’échec de Parcoursup. Parcoursup ne souffre pas de «bugs» susceptibles d’être réglés par des ajustements techniques. Il est le simple outil d’un renversement total des conditions d’accès aux études supérieures : ce sont désormais les établissements qui classent les candidats, au lieu que ces derniers hiérarchisent leurs vœux selon leurs aspirations. On peine à comprendre comment un tel système pourrait favoriser le «libre choix» et laisser le «dernier mot» aux étudiants. Le seul moyen de sortir de cette impasse est de restaurer le droit pour tous les bacheliers d’accéder à la formation universitaire de son choix, de sortir du cadre de la loi Ore et de financer un plan d’urgence pour l’enseignement supérieur qui mette en adéquation les places disponibles et le nombre de bacheliers et d’étudiants en demande de réorientation, et, d’une manière plus générale, d’ajouter des moyens pour l’université. Cela passe par le recrutement de 60 000 personnels enseignants et non enseignants au cours des dix prochaines années et une dotation de l’Etat aux établissements universitaire à la hauteur de celle des classes préparatoires et des grandes écoles, soit 15 000 euros par étudiants et non pas seulement 2 000 euros comme l’octroie actuellement la ministre aux établissements qui accepte d’accueillir des étudiants supplémentaires dans les filières «en tension».